2/2 – Positionnement de la “médecine intégrative” dans l’intégralité du parcours des malades

Vous lisez la suite de l’article1/2 – Les médecines non conventionnelles : la position des facultés de médecines françaises

L’expression de « thérapie complémentaire » choisie par l’Académie de Médecine pose un second problème : Elle réduit ces activités au champ de la thérapeutique, en excluant de fait de ces « médecines non conventionnelles » du champ du diagnostic.

Or, un des principaux reproches que les médecins défenseurs de la « médecine conventionnelle » font aux différentes disciplines « non conventionnelles », en dehors du caractère non démontré scientifiquement de ces méthodes, est que des « thérapeutes » proposent des « solutions thérapeutiques » sans passer par la difficile étape de la sémiologie, du diagnostic et de la classification nosologique des maladies.

Ce point nous semble fondamental.

Si l’on peut imaginer que dans le champ thérapeutique, il soit possible que des méthodes n’ayant pas encore démontré scientifiquement une efficacité réelle puissent être perçues par les patients comme apportant un bien-être réel, il nous semble formellement exclu que le champ du diagnostic soit « non conventionnel ».

II nous semble important de rappeler que dès lors qu’un patient présente un symptôme et/ou une souffrance, quels qu’ils soient, la médecine « conventionnelle » repose sur un chemin de raisonnements et de décisions en 3 étapes bien distinctes.

La première étape consiste en l’analyse des symptômes (sémiologie, de semios, le signe), qui peut être soit clinique (examen direct du médecin), soit paraclinique (prises de sangs, imagerie médicale, endoscopie, biopsies etc…). Lorsque cela est possible, ces symptômes doivent être regroupés en syndromes.

La deuxième étape consiste à établir un diagnostic positif et/ou un étiologique (de etios, la cause) à partir des symptômes ou syndromes identifiés. Souvent, devant un même tableau clinique, plusieurs hypothèses sont possibles, et pour conclure à un diagnostic dit « positif » (le bon diagnostic ), d’autres diagnostics (dits « différentiels ») doivent être étudiés et finalement écartés, en utilisant l’ensemble des éléments énoncés et classés avec méthode dans la première partie sémiologique. L’argumentation étayée et rigoureuse, souvent difficile, qui demande une longue formation médicale  et une certaine expérience, est la règle pour aboutir au diagnostic.

La pathologie choisie in fine par le corps médical rentre alors dans un cadre : La nosologie, c’est à dire la classification communément admise des maladies.

Toute nosologie « parallèle » ou « non conventionnelle » nous semble dangereuse. Il n’est pas concevable d’avoir un « diagnostic ostéopathique » ou un « diagnostic aromathérapique » : il ne peut y avoir qu’un seul type de diagnostic, d’ailleurs codifié par l’Organisation Mondiale de la Santé et pouvant être régulièrement revu (ref OMS).

A la fin d’une démarche médicale rigoureuse et bien conduite, les médecins sont souvent en face de 2 situations bien distinctes :

  • Soit une maladie « organique » est identifiée
  • Soit elle ne l’est pas et les symptômes sont alors définis comme relevant de « troubles fonctionnels» sans support organique identifiable.

Un exemple classique et fréquent est celui de la « lombalgie », qui peut aboutir à différents diagnostics organiques, de gravité variable : du simple lumbago à la hernie discale, en passant par la présence de métastases vertébrales de cancer. Une lombalgie ne peut également relever d’aucun diagnostic formel, aucun  substratum anatomo-pathologique.

Dans ces 2 cas pourtant, la « médecine intégrative » pourrait trouver sa place, qu’il reste à définir (cf infra). Mais il ne nous semble pas concevable d’évaluer ou de promouvoir différents types de méthodes thérapeutiques, conventionnelles ou pas, dans la mesure où il n’y a pas, en amont et pour chaque patient, consensus sur le diagnostic  médical et la classification nosologique de chaque tableau clinique.

La 3ème étape du cheminement que le médecin doit proposer à son patient est l’étape du traitement (thérapeutique). Une fois qu’un diagnostic a été posé, un arsenal thérapeutique varié est à disposition des praticiens : les méthodes proposées sont et doivent rester conventionnelles en première intention (médecine et pharmacopée, chirurgie, traitement radiologique ou endoscopique etc…).

Souvent nous l’avons vu, le patient se dirige, soit spontanément, soit parce qu’il considère que la médecine conventionnelle ne répond pas à l’ensemble de ses attentes, vers des soins « non conventionnels ».

Si ce rappel peut sembler évident, la Conférence des Doyens constate que la plupart des praticiens des « médecine non conventionnelles » ne suivent pas cette démarche rigoureuse, au cœur de l’enseignement dans les facultés de Médecine. Très souvent, et de plus en plus, les patients qui souffrent peuvent consulter des praticiens qui proposent, sans réflexion diagnostique préalable, différentes possibilités non conventionnelles (manipulations, médecine dite « naturelle » etc…)

Il se pose alors une question centrale : les soins ou pratiques non conventionnelles doivent-elles être prescrites pour garantir aux patients une prise en charge dans les règles de l’art, éviter les errements diagnostics et les retards de la prise en charge ?

En d’autres termes, doit-on exiger un avis médical avant de proposer ou même autoriser tout soins ou pratique non-conventionnels ?

La Conférence des Doyens estime que tout acte qualifié de « non conventionnel » doit être soumis à l’expertise d’un médecin diplômé avant d’être autorisé.

Comment classer les médecines non conventionnelles ?

L’OMS et l’INSERM distinguent 4 familles de pratiques :

  • Les « thérapies biologiques » utilisant des produits naturels issus de plantes, de minéraux ou d’animaux (ex : phytothérapie, aromathérapie)
  • Les thérapies manuelles (ex : ostéopathie, chiropraxie, réflexologie)
  • Les approches corps-esprits (ex : méditation, hypnose, sophrologie)
  • Les systèmes reposant sur des fondements théoriques propres (ex : acupuncture, homéopathie)

A cela s’ajoutent les médecines qualifiées de « traditionnelles » : il s’agit principalement de traditions attribuées à plus ou moins juste titre aux cultures asiatiques (Chine, Inde, Tibet), à l’Afrique, à la Polynésie ou à l’Amérique latine.

Liées aux philosophies et aux cultures de ces pays, l’ancienneté annoncée serait garante d’efficacité. Le journaliste scientifique Florian Gouthière rappelle toutefois que l’ancienneté d’une pratique n’est jamais une preuve, en soi, de sa validité ».

Le nombre et la diversité de ces pratiques obligent l’université française à avoir un positionnement global, en rappelant ce qui la fonde.

Quel positionnement pour les Universités Françaises et leurs écoles de médecine et de santé vis-à-vis de la médecine intégrative ?

Ouverture d’esprit – Refus des dogmes – Promotion des méthodes scientifiques et des expérimentations pour l’évaluation des pratiques intégratives.

Depuis la création de l’Université impériale par Napoléon Bonaparte, celle-ci se positionne comme une « unité spirituelle au sein de l’enseignement , garante d’une unité politique et capable de faire face à l’autorité de l’église ».

Depuis 1968, il s’agit d’Unités de Formation et de Recherche, regroupées dans une même circonscription administrative, au sein d’une même académie.

L’esprit des Lumières, au sens d’une certaine « élite œuvrant pour un progrès du monde, combattant l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme et la superstition et permettant le renouvellement du savoir » doit guider les responsables contemporains de la médecine universitaire pour une mise en place progressive et éclairée d’une « médecine intégrative ».

Ainsi, quels que soient les différentes techniques de médecines non conventionnelles qui pourraient être développées, évaluées et enseignées au sein des universités, chaque initiative doit être sous-tendue par :

  • La nécessité (l’obligation) d’une méthode pour valider les connaissances. Cette méthode doit basée sur l’expérimentation. Dans le cadre, pour la médecine, les principes méthodologiques de la Recherche clinique actuellement utilisés doivent être intégralement repris pour chaque publication de résultats (inspection préalable des projets de recherche par les Comités de Protection des Personnes, comparaisons de cohortes, études statistiques etc..) ;
  • La nécessité d’une « évaluation par les pairs» selon les critères du journalisme scientifique (journaux scientifiques avec filtrage par comité de lecture) ;
  • Le refus, en corollaire, des positions dogmatiques et arbitraires, comme base théorique aux développements de nouvelles méthodes thérapeutiques ;
  • Une évolution des critères d’appréciation de l’efficacité des traitements : Les critères d’évaluation ne doivent pas être uniquement quantitatifs (durée de vie, réponse objectives au traitement). Les champs d’évaluation qualitatifs (qualité de vie, ressenti affectif et émotionnel des patients) doivent faire l’objet d’axes de recherche et d’enseignement.

En conclusion, la Conférence des Doyens de Facultés de Médecine françaises soutient la création d’un Observatoire National Universitaire des médecines intégratives, (formé d’un Conseil scientifique et d’un Conseil pédagogique) qui a pour objet de recenser les activités, de promouvoir et d’évaluer la recherche clinique et l’enseignement dans ce domaine, sans déroger aux règles qui fondent l’Université, en particulier son ouverture d’esprit et sa méthode, et de poursuivre ainsi son développement et son rayonnement.

Par SafeMed

Collectif de patients et professionnels de santé pour une médecine intégrative.